Les friches urbaines, une réponse au besoin de nature « sauvage » en ville
Les friches boisées offrent des îlots de fraicheur et une nature « sauvage » facilement accessible en ville. Le Boisé-Jean-Milot à Montréal en est un exemple. Issu d’une mobilisation citoyenne, ce parc fait partie d’un projet de trame verte et bleue qui vise à relier le fleuve Saint-Laurent à la rivière des Prairies.
Adossé à une zone commerciale à proximité des autoroutes A40 et A25 dans l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, le Boisé-Jean-Milot émerge au milieu d’une mer de béton et d’asphalte. Deuxième parc boisé en importance de l’arrondissement, il forme un îlot de verdure avec son voisin, le parc Félix-Leclerc.
C’est dans les années 90 qu’un groupe de citoyens, le Comité de surveillance Louis-Riel (CSLR), se mobilise pour protéger et mettre en valeur cet ancien dépotoir en friches. Vingt ans plus tard, ce sont plus de 20 000 personnes qui fréquentent le boisé chaque année. Ce parc offre aux visiteurs la possibilité de se ressourcer, tout en permettant aux résidents de se rendre à pied jusqu’à la zone commerciale.
Une nature « sauvage » propice à l’exploration
Pour Aurélie Noël, architecte paysagiste et chargée de projets pour le CSLR, le boisé offre une nature différente, complémentaire au parc Félix-Leclerc aménagé avec aires de jeu et gazon. « Le Boisé-Jean-Milot se distingue par son aspect naturel, un peu sauvage. C’est un parc propice à l’exploration et aux jeux libres».
Bien qu’il soit dix fois plus petit que le parc Maisonneuve situé à proximité, le Boisé-Jean-Milot offre une diversité d’ambiances étonnante. Le visiteur traverse des friches herbacées et accède à un boisé qui se distingue par une falaise et un milieu humide, le marais Molson.
Le coup de cœur d’Aurélie Noël, c’est un mini-belvédère qui surplombe le marais, sur la falaise : « On est dans la canopée, tout près des oiseaux. C’est comme si on avait un accès privilégié à la nature, aux oiseaux. »
Ce regroupement d’écosystèmes différents favorise la biodiversité urbaine. Selon un inventaire effectué en 2016, le boisé se démarque par sa grande densité d’espèces d’oiseaux, avec plus de 60 espèces observées sur un peu moins de 7 hectares. On peut aussi observer insectes, escargots, canards, renard, rongeurs et ratons-laveurs, qui animent le lieu. Le chant des oiseaux crée une ambiance sonore qui couvre en partie la rumeur de la ville.
Écoutez cet enregistrement pour découvrir l’ambiance sonore du boisé (avril 2019) :
Une trame verte et bleue sur le parcours d’un ancien ruisseau
Si la biodiversité du parc du Boisé-Jean-Milot n’est pas comparable à ce qu’on observe en milieu naturel, elle n’en reste pas moins remarquable dans ce milieu urbain. Fait intéressant, il existe d’autres boisés et friches isolés dans l’arrondissement. Leur point commun : le ruisseau Molson.
C’est en découvrant une veine d’eau près de sa maison qu’un citoyen de l’arrondissement, François Plourde, commence à s’intéresser de près au ruisseau Molson. Tel un explorateur urbain, ce YouTuber prolifique connu sous le nom de Renard Frak, rassemble anciennes cartes et photographies aériennes et parcourt la ville à la recherche du ruisseau. De fil en aiguille, il retrace l’ancien lit de ce ruisseau canalisé dans les égouts depuis les années 50. Il s’avère que les friches boisées des quartiers Viauville, Mercier-Ouest, Louis-Riel et Nouveau-Rosemont sont d’anciens milieux humides où s’écoulait jadis le ruisseau.
Voyant dans ces friches une opportunité d’améliorer l’accès à la nature, il crée avec d’autres citoyens la coalition « Sauvons le ruisseau Molson ». Sa mission ? Raviver une ancienne idée : connecter les friches isolées pour relier la rivière des Prairies au fleuve Saint-Laurent. Il s’agit de créer une trame verte et bleue, avec le parcours de l’ancien ruisseau Molson comme fil conducteur du projet. Ce corridor rejoindrait au nord le parc-nature Ruisseau-De-Montigny. Pour en savoir plus sur le projet, vous pouvez consulter le mémoire intitulé « Proposition de création du parc-nature Ruisseau-de-la-Grande-Prairie », en suivant ce lien. Le ruisseau Molson a été rebaptisé « de-la-Grande-Prairie » dans le mémoire en référence au nom donné par les premiers colons.
Les bienfaits de la nature urbaine
Les boisés et les friches isolés sont comme des pas japonais que le projet de trame verte et bleue viendrait relier. La connectivité écologique serait améliorée, avec pour effet de favoriser la circulation de la petite faune et le transport actif des citoyens.
Selon François Plourde, il est important d’aller au-delà de l’espèce dans l’inventaire écologique : « Ces arbres [peuplier deltoïde, Orme de Sibérie, Érable à Giguère] n’ont peut-être aucune valeur en milieu naturel, mais en milieu urbain leurs services rendus sont considérables ». Il cite par exemple la lutte contre les îlots de chaleur et la gestion optimale des eaux pluviales : « Il faut considérer l’ensemble des services écologiques, économiques et paysagers ».
C’est ce que met en avant un rapport publié par la Fondation David Suzuki en 2015 sur les infrastructures vertes. Ce rapport mentionne les travaux d’Andrew Gonzalez, professeur à l’Université McGill et directeur du Centre de la Science de la Biodiversité du Québec (CSBQ). Sur la base de 3 critères : connectivité, qualité de l’habitat et adaptabilité climatique, l’équipe du chercheur a produit une carte des milieux les plus intéressants de la grande région métropolitaine. En se basant sur cette carte, l’équipe du CRE de Montréal observe que « […] les friches de l’Assomption Sud apparaissent parmi ces milieux d’intérêt. Plus encore : elles ont, en regard des critères mentionnés, une valeur tout à fait comparable à celle du Parc Maisonneuve! ».
Citation tirée de « L’Assomption en vert et bleu ». 12 avril 2018. Conseil régional de l’environnement de Montréal. Consultable ici
Rappeler l’ancien ruisseau à travers ses vestiges
Au parc du Boisé-Jean-Milot, le marais Molson correspond à une résurgence de l’ancien ruisseau. Mis sur la piste par François Plourde, Richard Sylvain, le coordonnateur du CSLR, découvre le marais en 2014. Au fil des épisodes de contrôle du roseau commun, le marais se révèle peu à peu. Sa présence est confirmée en 2015 dans une étude floristique et écologique du boisé par François Lambert, alors candidat à la maîtrise de l’Institut de recherche en biologie végétale (IRVB) . Des centaines d’heures de bénévolat plus tard, le marais Molson forme un milieu humide de 1 000 m2. Son rôle est essentiel pour la biodiversité urbaine du boisé. Il est devenu accessible au public en 2017, grâce à l’aménagement d’un sentier et d’une passerelle avec panneaux d’interprétation.
Le soutien financier de la Fondation Hydro-Québec pour l’environnement et de l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve permettent aussi au CSLR de bonifier la biodiversité du marais, avec la plantation en 2019 de plus de 300 arbres, arbustes et plantes aquatiques.
La mise en valeur du Boisé par le CSLR facilite l’accès et l’appropriation des lieux par la population. Elle bonifie aussi la biodiversité, tout en conservant l’esprit de nature spontanée et sauvage propre au Boisé.
Répondre au besoin de nature
Lorsqu’on lui demande pourquoi il s’implique autant pour protéger et mettre en valeur les friches, François Plourde répond : « Je suis un grand amoureux des arbres. Ils m’apportent tellement d’énergie ».
Il fait remarquer que la population urbaine a besoin de nature « sauvage » facile d’accès : « C’est attirant une friche pour bien des gens. Ce n’est pas tout le monde qui a la chance d’emmener ses enfants voir des milieux naturels en dehors de la ville ».
Il ajoute : « Si la nature est proche, l’humain va avoir un contact avec ce qui est naturel et sauvage dans sa ville. Et il va peut-être changer de mentalité tranquillement ».
Présent à un atelier d’idéation pour le budget participatif de Mercier-Ouest, la demande des citoyens en matière de corridor vert et actif interpelle François Plourde : « Au tout début, je n’ai pas parlé de notre projet. Ce sont les citoyens qui ont amené le sujet. C’est déjà dans l’air. »
Pour en savoir plus
- Plourde, François et Julien Bourbeau. 2019. Mémoire intitulé « Proposition de création du parc-nature Ruisseau-de-la-Grande-Prairie ». Présenté dans le cadre de l’OCPM au sujet du secteur Assomption-Sud—Longue-Pointe. Consultable en ligne ici
- Pour en savoir plus sur la démarche de Renard Frak et l’histoire du ruisseau Molson : Bourbeau, Julien. 2017. « Le rêve de Lamberto ». Dans la revue POSSIBLES. Consultable en ligne ici
- Lambert, F. (2015). Étude floristique et écologique au Parc du Boisé-Jean-Milot. Rapport présenté au Comité de Surveillance Louis-Riel. Montréal, Québec. 92 p + annexes. Consultable ici
- Autre exemple d’exploration urbaine : le voyage métropolitain, dans l’agglomération parisienne. Conférence « Explorer le Grand Paris, de la marche au paysage ». Présentée par la Fédération Française du Paysage, dans le cadre du cycle de conférences « Expériences de paysage ». Disponible en ligne ici
- Fondation David Suzuki. 2015. « Les infrastructures vertes : un outil d’adaptation aux changements climatiques pour le Grand Montréal ». Consultable en ligne ici
4 réponses à “Les friches urbaines, une réponse au besoin de nature « sauvage » en ville”
Un article solide de Céline Bonnot qui fait la synthèse du travail du Comité de surveillance Louis-Riel et de la Coalition Sauvons le ruisseau Molson. Le premier fait un travail colossal de vulgarisation, de promotion et de protection des parcs Boisé-Jean-Milot et Félix-Leclerc, et lorgne vers le parc Francesca-Cabrini. Le deuxième, dont je fais partie, fait la promotion d’unir tous les milieux naturels qui ont connu le ruisseau Molson sous un grand chapeau de parc-nature ou de corridor écologique et de mobilité. Le grand projet est d’unir, de bonifier et de promouvoir les milieux naturels du fleuve à la rivière des Prairies !
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